Histoire de l’âge de la Terre

I L'âge de la Terre à l’Antiquité et pendant l’ère chrétienne

 

Selon Aristote, philosophe grec de l’Antiquité, la Terre est éternelle et a toujours existé. La question de son âge ne s’est donc pas posée jusqu’à la fin du Moyen Âge. Cependant les religions monothéistes introduisirent l’idée de la création du monde par Dieu : cela sous-entendait donc la naissance de la Terre. Notre planète avait donc l’âge correspondant à celui de la Création.

Chaque religion monothéiste a donc défini un âge pour notre planète. La Bible riche en repères historiques, permit à certains savants comme Gérard Mercator (1512-1594), Johannes Kepler (1571-1630) ou encore Isaac Newton (1642-1727), de calculer un âge approximatif de 4000 ans à partir de la naissance du Christ. C’est  le calcul de l'archevêque anglais James Ussher (1581-1656) qui fut le plus connu. Il situe la naissance de la Terre précisément le 23 octobre de l’an 4004 av. J.-C. soit un âge d’environ 6000 ans.

À l’époque cette démarche s’appuyant sur des données issues d’un livre considéré comme source de vérité est acceptée par l’ensemble des savants en Occident.

 

II L'âge de la Terre : une question controversée

A/ Les méthodes géologiques

Au XVe siècle, des géologues italiens en étudiant la formation des Alpes, ont estimé l’âge de la Terre à 36 000 ans. Mais aucune preuve géologique significative n’a pu être apportée.

Il a fallu attendre le XVIIIe siècle, le siècle des lumières, avec le début du développement des sciences et la naissance de la géologie, pour reprendre les calculs et trouver par différentes techniques de « géochronomètres », l’âge de la Terre. Un géochronomètre est un matériau géologique, une propriété physico-chimique dont l'évolution ou les variations dépendent du temps selon un intervalle spécifique.?

1) Une datation par l’évolution de la salinité des océans 

Au XVIIIe siècle, l’astronome Edmond Halley étudia la teneur en sel des océans et des mers, sel provenant de l’érosion des continents. Il expliqua que l’eau douce des rivières contenait en réalité quelques sels provenant des roches qu’elle érodait. Ainsi l’océan dont l’eau s’évapore en permanence se chargeait petit à petit en sels. En se basant sur la quantité d’eau salée et les débits des grands fleuves, il démontra que la Terre avait un âge supérieur à 36 000 ans.

2) Une datation par l’étude des strates sédimentaires 

Au XVIIe siècle la géologie se développe en Occident et l’on s’intéresse énormément aux formations sédimentaires. La stratigraphie ou étude de la superposition des terrains sédimentaires permet d’ordonner dans le temps des événements géologiques : on parle de datation relative car un événement est daté par rapport à la date de survenue d’un autre. 

 

L'histoire de l'âge de la Terre - illustration 1

George-Louis Leclerc (1707-1788), comte de Buffon
Portrait de Buffon par François-Hubert Drouais (1753), domaine public, Wikimédia Commons

 

Georges Louis Leclerc comte de Buffon était impressionné par l’épaisseur des couches sédimentaires des Alpes d’autant plus que les dépôts formés par les océans semblaient mettre un temps assez long à se réaliser. L’âge de la Terre a été estimé par la mesure de l’épaisseur des strates de sédiments et en utilisant une simple règle de proportionnalité. Il avait été constaté qu’il fallait 100 ans pour qu’un millimètre de sédiments se dépose. Il fallait donc 100 000 ans pour former une couche d’un mètre.  Il aboutit ainsi à un âge de la Terre de l’ordre de plusieurs millions d’années voir milliards d’années. Cependant à une époque où la religion prédominait, il ne publia pas ses résultats préférant « être plat que pendu ». Plusieurs autres scientifiques s’essayèrent à ce type de calcul mais tous obtinrent des âges différents.

 

En effet, cette méthode de datation relative est discutable en raison du fait que les sédiments ne se déposent pas de manière homogène à la fois dans le temps et dans l’espace. De plus il fallait estimer la vitesse de réalisation de phénomènes géologiques sur un intervalle court (au maximum une vie humaine) puis extrapoler les résultats obtenus pour des terrains géologiques et pour des périodes de temps beaucoup plus importantes.

 

3) Une datation par l’étude des fossiles

La découverte de nombreux fossiles de dinosaures oblige les scientifiques à envisager la possibilité de l’existence de phénomènes d’extinction d’espèces animales ou végétales, phénomène contradictoire avec les croyances chrétiennes.

Au XVIIIe siècle, Georges Cuvier (1769-1832) est partisan de la fixité des espèces. Pour lui, les espèces créées telles qu’elles et disparues suite à des catastrophes naturelles, sont remplacées dans le milieu laissé libre par des espèces migratrices. Jean-Baptiste De Lamarck (1744 – 1829) défendait quant à lui la théorie transformiste : selon lui les espèces faisaient preuve d’une lente transformation à l’origine de l’émergence de nouvelles espèces. 

Charles Darwin (1809 – 1882) se base sur la théorie de Lamarck pour théoriser le concept d’évolution des espèces. Selon lui les variations minimales à l’échelle d’une génération peuvent peu à peu donner naissance à une nouvelle espèce et cela ne peut se faire que sur des centaines de millions d’années. Le fait que les fossiles observés dans les couches géologiques restaient relativement homogènes, cela indiquait qu’ils n’avaient pas évolué durant les millions d’années nécessaires à la sédimentation de la couche. Or si une évolution a eu lieu et qu’elle nécessite énormément de temps, c’est que ces millions d’années nécessaires à la formation de la couche sédimentaire correspondent en réalité à un petit laps de temps dans l’histoire de la Terre. Il était donc justifié que la Terre ait un âge de plusieurs centaines de millions d’années voir même de plusieurs milliards d’années.

 

B/ Les méthodes physiques

Georges Louis Leclerc comte de Buffon, avait donc réalisé des estimations de l’âge de la Terre grâce aux données sédimentaires. Dans une première publication Buffon annonça un âge de 25 000 ans pour la planète, bien plus important que celui admis par l’église. Il subit la colère de celle-ci et quitta Paris pour se réfugier en Bourgogne, à Montbard. Après des excuses et un temps d’oubli, il remonta sur Paris et poursuivit ses travaux. Au fur et à mesure de ces recherches et de ses réflexions, il publia des âges de plus en plus grands proposant jusqu’à un âge de 75 000 ans : mêmes punitions, exil en Bourgogne !

Vers 1770, suite au constat qu’il existait dans le sol une augmentation de température en profondeur,  notamment au niveau des mines, il émit l’hypothèse que la Terre était à l’origine une boule de roche en fusion qui ne cessait de refroidir depuis sa formation. Disposant de forges en Bourgogne, il élabora alors un protocole rigoureux basé sur une publication de Newton concernant la propagation de la chaleur : en chauffant à blanc des boulets de canon de différentes tailles et en mesurant leur vitesse de refroidissement, il parvint à établir un modèle qu’il extrapola à la sphère terrestre. Il ne publia jamais ses résultats mais ses carnets révèlent que ses calculs estimaient l’âge de la Terre à 10 millions d’années.

Au XIXe siècle, le physicien anglais William Thomson (1824-1907), anobli en Lord Kelvin, reprend la théorie de Buffon proposant que la Terre était une boule de roche en fusion qui se refroidissait depuis son origine.

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William Thomson (1824-1907), anobli en Lord Kelvin, photographie, domaine public, Wikimédia Commons

 

Pour affiner cette théorie, il disposait de la formule de l’équation de la chaleur inventée en 1807 par le mathématicien et physicien français Jean-Baptiste Fourier (1768-1830) et qui modélise mathématiquement la conduction de chaleur. La conduction correspond un transfert d’énergie entre deux milieux sans mouvement de matière. Ces calculs ne pouvaient s’appliquer qu’à une Terre rigide sans mouvements de convection interne.

Il évalua la température initiale de la Terre en fusion à 3900°C. Il a supposé que la Terre s’était refroidie par conduction et que sa température centrale était restée à 3900°C. La Terre ayant aujourd’hui une température de surface de l’ordre de 20°C, il a estimé l’âge de celle-ci entre 20 et 400 millions d’années, âge correspondant au temps nécessaire pour refroidir la surface de la planète à 20°C. En complétant son estimation par des études sur l’âge du Soleil et de la croûte terrestre, il conclut à une fourchette plus restreinte de 20 à 40 millions d’années. Cet âge considérable a été bien accueilli par les physiciens car depuis un siècle, les progrès des géologues avaient contribué à installer l’idée d’une Terre bien plus âgée qu’on ne l’imaginait.

 

Cependant cette faible valeur de l’âge de la Terre n’était pas en accord avec les durées très longues de certains phénomènes géologiques dont notamment la sédimentation. De plus la conception de l’évolution de Charles Darwin était incompatible avec l’estimation de l’âge de la Terre de Kelvin.

 

La découverte de la radioactivité et son application à la datation de la Terre mirent fin à cette controverse au début du XXe siècle donnant raison aux géologues et aux biologistes.

 

III La radioactivité : une estimation précise de l'âge de la Terre

 

En 1906 Ernest Rutherford (1871-1937) met au point une méthode de datation par mesure de la désintégration radioactive du radium.

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Ernest Rutherford (1871-1937), photographie, domaine public, Wikimédia Commons

 

Un élément est dit radioactif quand son noyau est instable et qu’il relâche spontanément de l’énergie sous la forme de rayons alpha α, bêta β et gamma ? afin de tendre vers la stabilisation. On parle d’élément radioactif « père » qui se désintègre en élément « fils ». Les éléments fils formés par désintégration des éléments pères sont dits radiogéniques. 

 

La loi de décroissance radioactive établit que dans un échantillon de matière, le rapport entre la quantité de l’élément père restant et la quantité de l’élément père au moment de la fermeture du système, ne dépend que du temps écoulé depuis le début de la réaction. 

 

On appelle demi-vie,  la période (T1/2) correspondant à la durée écoulée lorsque la moitié de la quantité des éléments pères est désintégrée. Le nombre d’atomes pères diminue selon une loi exponentielle P = Po . e-λt avec P le nombre d’atomes pères à l’instant t, Po le nombre d’atomes pères à l’instant initial tet  λ (lambda) la constante de désintégration de l’élément en question. 

 

Avec cette méthode il devient alors possible au début du XXe siècle de dater des échantillons terrestres. 

 

L'histoire de l'âge de la Terre - illustration 4

Clair Patterson (1922-1995), photographie, domaine public, Wikimédia Commons

 

Clair Patterson (1922-1995) fut le premier à utiliser la loi de décroissance radioactive pour dater une roche riche en uranium : il obtient un âge de 140 millions d’années. L’uranium possède deux isotopes radioactifs : l’uranium 235 et l'uranium 238. Chaque isotope se désintègre par étapes successives pour atteindre un isotope stable : le plomb. Ainsi l’uranium 235 donne du plomb 207 et l’uranium 238 donne du plomb 206. Les demi-vies sont respectivement de 0,704 Ga et 4.468 Ga. Ces longues périodes sont donc adaptées à la datation d’objets géologiques très anciens. Il a montré que la valeur du rapport isotopique 207Pb/206Pb donne une estimation directe du temps écoulé depuis la fermeture du système c’est-à-dire le moment où la roche n’échange plus de matière avec le milieu extérieur.

 

Des datations ultérieures réalisées sur d’autres roches confirmèrent que la datation de Kelvin sous-estimait largement l’âge de la Terre. Cependant afin de fournir un âge précis de la planète il fallait disposer d’échantillons de roche datant de la formation de la planète. En 1953 Clair Patterson (1922-1995) qui eut l’idée d’utiliser des échantillons de météorites contemporaines de la formation de la planète : il l’estima à 4,55 ± 0,077 milliards d'années. La plus vieille roche terrestre a été étudiée et datée en 2014 par John W. Valley. L’étude a porté sur des cristaux de zircon et a révélé un âge de 4,4 milliards d’années.

 

Kelvin n’avait pas connaissance qu’une grande partie de la chaleur interne terrestre provenait de la décroissance radioactive des éléments radioactifs terrestres. Il ne savait pas également que la chaleur interne de la Terre se dissipait principalement par convection (théorie de Holmes en 1929). Voilà pourquoi son estimation était erronée. Actuellement, l'âge de la Terre est estimé à 4,57 milliards d'années.

Date de dernière mise à jour : 22/05/2021